dimanche 26 avril 2020

HUITIÈME PARTIE DU LIVRE : UN CHEMIN VERS L'ESPRIT


LA FACULTÉ DE CONSTRUIRE DES SYMBOLES

Une personne rêve qu'elle fait l'ascension d'une montagne. Le chemin est rude, pénible ; elle ne parvient à grimper qu'à force de volonté.  Elle est essoufflée, épuisée, mais il faut monter.  Elle approche du sommet, mais il est inaccessible, entouré de parois abruptes.  Où trouver un passage ?  Il n'y en a pas.  Pourtant il faut avancer.  Enfin voici une grotte.  On peut y entrer... Elle se prolonge par une sorte de tunnel étroit.  Le sol est humide, glissant, visqueux, l'obscurité se fait toujours plus profonde, mais il faut avancer quand même.  

Le rêveur se sent oppressé, angoissé dans ces ténèbres froides où il avance à tâtons.  Il doit maintenant ramper tant le passage est étroit.  Il étouffe, il va périr.  Non, il ne veut pas faiblir.  Encore un effort.  Il n'en peut plus.  Un dernier effort!  Enfin il aperçoit au loin une lueur.  Il s'y traîne.  Oui, c'est bien la lumière du jour, une issue sur le ciel.  La joie le réveille. Or, le dormeur rencontre à ce moment de grandes difficultés dans sa vie; il s'efforce de les surmonter, mais ne sait pas encore comment il en sortira.

Un psychanalyste expliquerait peut-être un rêve de ce genre en faisant remarquer que l'impression de se faufiler péniblement au travers d'un passage étroit, visqueux, étouffant est un symbole d'accouchement.  Il en conclurait sans doute que le rêveur, au milieu des difficultés qu'il rencontre, éprouve inconsciemment le besoin de changer complètement de vie, de renaître à nouveau. 

Une telle interprétation serait sans doute juste.

Dans ce rêve, les difficultés pesantes et l'angoisse de l'incertitude se sont exprimées par un autre symbole, un symbole d'ailleurs banal : « gravir un chemin rude », « se trouver plonger dans les ténèbres » sont devenus des lieux communs parce que de telles représentations naissent spontanément chez la plupart des êtres.  Elles sont empruntées à une de réservoir commun dans lequel ont puisé tous les hommes à toutes les époques.  On voit ainsi réapparaître de nos jours, soit dans les rêves, soit dans des moments d'assoupissement de notre conscience, des symboles qu'employaient déjà dans leurs mythes ou dans les rites de leurs religions les peuples les plus anciens.  

C'est dans le monde astral que nous pourrions trouver ce réservoir universel des grands symboles.

Le corps astral en est le créateur.  Il y a, ici encore, antagonisme entre l'astral et l'éthérique.  Les forces du corps éthérique nous permettent de construire des images, nos représentations des choses du monde extérieur... 

Le corps astral, lui, s'exprime en symboles.

Si cette tendance du corps astral apparaît plus nettement dans la conscience de rêve, elle se produit également pendant la veille.  La psychanalyse a mis en lumière cette particularité psychologique. Les observations de Freud et de ses disciples ont montré que nous créons sans cesse des symboles.  Par exemple, nous lions symboliquement un objet à un sentiment ou à un désir.  Si ce sentiment ou ce désir nous importune, nous cherchons inconsciemment à nous en débarrasser et il se trouve (…comme par hasard !) que nous allons perdre ou briser l'objet-symbole.  Consciemment, nous croyons sincèrement que c'est « par hasard ». En fait nous avons été l'agent volontaire de la perte ou de la destruction de l'objet lié à un sentiment dont nous cherchions à nous libérer.  Nous agissons inconsciemment comme si, en nous débarrassant de l'objet, du symbole que nous avons créé, nous pouvions supprimer le sentiment refoulé.

Notre vie intérieure est tissée de symboles beaucoup plus que nous ne l'imaginons, elle en est même souvent encombrée.  Ce n'est pas seulement un objet, mais un homme, une personnalité disparue, même une notion abstraite qui peuvent devenir symboles.  Ils servent de vêtement à un ensemble complexe de sentiments ou de désirs, souvent parce qu'on est incapable de les analyser et qu'il est plus simple et plus facile de les couvrir d'une image ou d'une formule, parce qu'on n'oserait plus se les avouer à soi-même.  Ils s'agrègent en un symbole qui, dès qu'il est constitué, masque à la conscience tout ce qu'il recouvre.  Il sert aussi à les justifier.  C'est le symbole, prétendons-nous, qui est haïssable ou adorable, vénéré ou honni!  

Nous donnons ainsi libre cours à notre sentiment sans être gênés par les scrupules de notre conscience ou arrêtés par sa censure.

Naturellement on ne tiendra guère compte, dans cette élaboration du symbole, de ce qu'est en réalité l'objet, la personnalité, ou le contenu intellectuel de la notion abstraite derrière lesquels se masque un complexe de sentiments inavoués.  Il devient impossible de discuter rationnellement la notion prise comme symbole ou de rétablir dans sa vérité historique le personnage promu à ce rang ; on déclencherait immédiatement des réactions émotives au lieu d'un examen des faits et d'arguments logiques.

La politique n'est-elle pas nourrie presque entièrement de ces sortes de symboles ? Elle en vit ... et elle en meurt.

Bien que cette tendance à créer sans cesse des symboles soit un des principaux ressorts de notre vie psychologique, elle reste plongée presque entièrement dans l'inconscient.  C'est ce qui peut la rendre dangereuse.  Du fait que l'activité qui construit les symboles échappe au contrôle de la conscience, on commet communément l'erreur de croire que ces symboles ont été construits par la pensée, qu'ils représentent des idées, alors qu'ils ne sont en réalité que le masque d'un complexe de sentiments, de désirs, de volontés.  Pour se faire illusion, on enrobe le symbole de mots qui, dans le dictionnaire, correspondent à des concepts, à des idées, mais qui n'ont jamais été pensés réellement par celui qui les prononce.  C'est ainsi que naissent, se développent et s'exaspèrent tous les fanatismes, les mots d'ordre qui se créent et se colportent ; « les mots qui sauvent et les mots qui tuent ».
Il est donc extrêmement important d'apprendre à construire correctement des symboles. C'est utile dans la vie courante pour ne pas nous illusionner sur les symboles que nous construisons sans cesse dans notre inconscient, et aussi pour éviter de nous laisser imposer les symboles construits par d'autres.

Certes, il ne s'agit pas d'éviter tout symbolisme.  C'est une activité normale du corps astral et nous allons voir qu'elle est fort importante pour le développement spirituel.  Mais il faut s'habituer à la rendre consciente.  Il peut être commode qu'un complexe de sentiments et de volontés puisse s'exprimer par un symbole, mais il faut être conscient qu'il en est bien ainsi, se rappeler que ce ne sont pas des idées qui s'expriment sous cette forme.  Il faut en outre être capable de reconnaître clairement quels sont réellement les sentiments, les désirs, les volontés qui s'expriment sous ce vêtement.  On retrouve ici cette loi générale déjà exprimée : lorsqu'une faculté ou un être spirituel présentent quelque danger, ils perdent toute nocivité dans la mesure où l'on est capable de les reconnaître, de les regarder bien en face sous la pleine lumière de la conscience.

Dans son livre La science de l'occulte, Rudolf Steiner donne un exemple célèbre d'une méditation sur un symbole, celui de la Rose-Croix.[1]  

Il explique longuement et de façon précise comment il faut construire le symbole et il montre de quelle façon la suite de pensées et de représentations qui sert à cette édification fait naître certains sentiments.  Une fois la construction achevée, il faut se concentrer sur le symbole seul, et pendant la concentration, exclure toute autre pensée.  

Il ajoute :
« La vertu d'un pareil symbole dépend de la manière dont on l'a composé avant d'en faire l'objet de la méditation. Si on l'évoque sans l'avoir tout d'abord construit dans sa vie intérieure, il reste froid et inerte, comme si la chaleur psychique qui l’animait recevait sa force pendant l’édification.   

Mais quand on en arrive à la concentration, il faut imposer silence à toutes les pensées préparatoires, et laisser le symbole tout seul flotter devant le regard spirituel. »

Le symbole repose donc bien sur un ensemble, un complexe de sentiments, éveillés au moyen de la construction.  Au cours de la concentration, tous les éléments d'édification du symbole doivent disparaître ; lui seul doit subsister et les masquer, enveloppé seulement d'un halo, d'une aura de sentiments qui continuent de vibrer dans l'âme comme un accompagnement en sourdine.  La méditation ainsi proposée suit donc très exactement le processus spontané de construction du symbole tel qu'il se déroule de lui-même dans notre inconscient.  Mais ici tout s'est fait en pleine conscience, volontairement et d'après des représentations et des sentiments que nous avons pu choisir et contrôler.

LIBRE CRÉATION DE SYMBOLES

Par une méditation ainsi construite, notre âme parvient à se mettre à l'unisson d'une des lois du monde astral, mais elle la suit par un acte libre, issu de notre propre initiative, et non pas en nous laissant entraîner par les impulsions obscures de notre inconscient.

Cette liberté, cette autonomie est l'élément essentiel, celui qui donne toute sa valeur et son importance à l'exercice.  Nous nous trouvons ici à un point central, crucial, sur le chemin que nous suivons dans notre marche vers l'esprit.

Jusqu’ici les observations que nous avons faites, les représentations ou les idées sur lesquelles nous nous sommes fondés étaient directement ou indirectement tirées du monde sensible ou liées à lui.  Nos observations sur le monde éthérique constituaient des expériences sensibles-suprasensibles.  

Nous avons essayé d'apercevoir l'éthérique au travers des métamorphoses qu'il impose aux formes visibles.  Les pensées que nous avons développées étaient mises à l'unisson des forces éthériques lorsqu'elles agissent dans le monde physique.  En abordant l'astral, nous avons eu recours sans doute à l'observation de notre vie intérieure.  

Mais nous dirigions notre observation vers certains aspects de cette vie intérieure qui sont liés au physique et à l'éthérique.  Il en était ainsi pour tout ce qui concerne les rapports du corps astral avec les corps physique et éthérique.  La faculté de transfert que nous avons observée comme première manifestation du corps astral peut sans doute s'exercer vis-à-vis des êtres spirituels ; mais dans la vie courante, elle tend à nous rapprocher des choses et des êtres du monde sensible.

Maintenant, en abordant l'activité créatrice de symboles, nous touchons à un domaine où l'activité du corps astral n'a plus aucun rapport avec le monde physique, et surtout n'est plus déterminée en quoi que ce soit par le physique-éthérique.  Nous sortons complètement du monde sensible.

Après avoir décrit la méditation sur la Rose-Croix, Rudolf Steiner déclare :

« Ces symboles sont choisis de telle manière qu'on peut faire totalement abstraction de leur rapport avec une réalité sensible et que leur valeur réside uniquement dans la force avec laquelle ils agissent sur l'âme quand celle-ci détourne totalement son attention du monde extérieur, qu'elle étouffe les impressions des sens et qu'elle élimine aussi toutes les pensées qu'elle pourrait tenir d'une impulsion venant du dehors. ( ... )  
Le processus de la méditation s'éclaire si on le compare au sommeil. (…) Bien que l'état de l'âme soit alors comparable au sommeil en ce sens qu'elle s'est détachée de son corps, cet état peut pourtant être considéré comme un état de veille supérieur. L'âme se connait alors dans sa véritable nature indépendante, tandis qu'à l'état de veille ordinaire - ses forces étant beaucoup moins développées - elle ne devient consciente qu'avec l'aide de son corps  ; elle ne se connaît donc pas elle-même et se perçoit seulement dans l'image que son corps ou plutôt ses processus organiques lui présentent comme une sorte de reflet.
Les symboles dont la construction a été décrite plus haut ne correspondent pas encore, naturellement, à des réalités du monde spirituel.  Ils servent à détacher l'âme de la perception sensorielle et du cerveau auquel l'entendement est lié d'ordinaire. Ce détachement n'est acquis que lorsqu'on peut se dire : je me représente maintenant quelque chose au moyen de forces pour lesquelles ni mes sens ni mon cerveau ne me servent d'instruments. La première expérience qu'on fait sur cette voie, c'est cette indépendance à l'égard de ses organes physiques. On peut se dire ensuite : ma conscience ne disparaît pas lorsque je fais abstraction de mes perceptions sensorielles et de ma pensée rationnelle ; je puis m'élever au-dessus de celle-ci et j'ai alors l'impression d'être à côté de ce que j'étais auparavant.  Telle est la première expérience purement spirituelle : la vision d'une entité, d'un Moi psychospirituel. »

Cette expérience est donc d'une importance capitale. Mais il faut bien voir que la faculté de former des symboles existait avant cette expérience.  Ce qui est essentiel, c'est que dans notre vie psychique ordinaire toute activité consciente est déclenchée directement ou indirectement par des impressions sensibles.  Nous sommes donc déterminés plus ou moins par elles.  Ici au contraire, l'homme peut, sans être déterminé par autre chose que par son libre propos, déclencher une activité purement spirituelle, une activité propre à un monde suprasensible, au monde astral.  

Il sort donc bien du monde sensible pour entrer de son propre mouvement dans un monde supérieur, et d'une façon conforme aux lois de ce monde. Au lieu d'être porté par les lois du monde physique, il se modèle d'après les lois de l'astral auxquelles il s'est librement lié. L'exercice sur les symboles est donc bien un passage, un point crucial sur le chemin vers l'esprit. Grâce à lui on peut passer du monde sensible aux mondes supérieurs et cela par un acte libre.

Il est facile de comprendre qu'un tel exercice puisse être le point de départ d'un chemin de développement spirituel.  C'est ce que montre Rudolf Steiner dans son livre La science de l'occulte.  

La méditation sur les symboles est la première méditation qu'il propose dans le chapitre de cet ouvrage consacré à la « connaissance des mondes supérieurs ».  

C'est un chemin plus rapide que celui qui passe par étapes successives du physique à l'éthérique, puis à l'astral.  Il s'engage, en effet, directement dans des régions déjà complètement étrangères au monde sensible. Mais il ne peut être utilement suivi que par des âmes déjà sérieusement mûries et, en outre, bien entraînées aux exercices spirituels, car il n'est pas facile de réussir correctement une méditation sur les symboles.  

On entre dans un monde inhabituel pour notre conscience ordinaire.  

On n'est plus guidé par des notions tirées de l'expérience sensible, on manque de points de repère, de contrôle direct et immédiat.  C'est un chemin difficile pour des débutants.


INVERSION DU COURS DU TEMPS

Avec le travail sur les symboles, nous sommes sortis du monde sensible, donc de l'espace tel que nous le concevons d'ordinaire.  En passant à une autre observation de la conscience de rêve, nous allons sortir du temps tel qu'il se déroule habituellement devant nous.  En effet, une troisième caractéristique de l'astral, l'inversion du cours du temps, apparaît fréquemment dans les rêves.

Voici par exemple un rêve cité dans plusieurs manuels de psychologie :
Une personne rêve qu'elle vit à l'époque de la Révolution française.  Le rêveur se ressent comme un suspect ; il est poursuivi, traqué.  Il parvient à s’échapper plusieurs fois.  Il lui faut prendre des noms d'emprunt, se déguiser, changer presque chaque jour de refuge.  Il finit par être arrêté, emprisonné.  En prison il vit maintes scènes dramatiques.  Il est traduit devant le tribunal révolutionnaire.  Un long procès se déroule.  Malgré une défense acharnée, il est condamné à mort, conduit à l'échafaud.  Le coup de couperet de la guillotine le réveille.

Il s'aperçoit alors que le ciel de lit s'est détaché et lui est tombé sur le cou !
Le choc a été interprété dans la conscience de rêve comme le coup de couperet d'une guillotine.  Le long roman aux épisodes multiples qui a paru durer des mois a été déclenché par ce choc qui n’a duré qu’une seconde.

Pourtant le coup de couperet était, dans le rêve, le dénouement de ce roman.  Ce qui en fait a été le point de départ apparaît comme conclusion. La cause première devient l'effet final. Dans notre conscience de veille et dans le monde physique, la cause précède l'effet et le détermine. Ici le fait qui serait considéré comme cause lorsque nous sommes éveillés, apparaît comme l'ultime conséquence d'une longue suite d'événements. Pourtant c'est ce point final qui a engendré tout le roman.  Il fallait expliquer le choc ressenti. 
Le corps astral a travaillé pour fournir une explication.  Il l'a donnée en se conformant à ses lois propres parce qu'il était libéré des contraintes que lui opposent, lorsque nous sommes en état de veille, les corps physique et éthérique.  

Mais du même coup il nous découvre un des secrets de sa nature, une de ses lois maîtresses : dans l'astral le temps paraît se dérouler en sens inverse de son cours habituel.  Il revient de l'avenir vers le présent.  Cette inversion est due à ce que le monde astral est le monde de la finalité.


CAUSALITÉ ET FINALITÉ

Dans l’univers physique, la cause de tout ce qui existe dans le présent doit être cherchée dans le passé ; le passé détermine le présent, qui à son tour déterminera l'avenir.  Dans le domaine physique règne la causalité.

Dans le monde astral, tout ce qui existe dans le présent trouve sa raison et sa fin dans un but qui ne se réalisera que dans l'avenir, mais qui se préfigure dans le présent.

Dans le monde physique, lorsqu'on veut rechercher comment les événements s'enchaînent, se déterminent les uns les autres, il faut les suivre dans un ordre qui se déroule du passé vers le présent, conformément au temps tel que nous le concevons d'ordinaire. C'est ce que nous appelons l'ordre chronologique.

Dans le monde astral, si nous voulons découvrir comment un événement en a suscité un autre, il faut suivre l'ordre inverse, remonter dans le temps du présent vers le passé.

Le monde physique est dominé par la loi de causalité ; le passé impose rigoureusement l'état présent.  L'astral au contraire prédispose le présent en vue d'une fin, le rend apte à recevoir les impulsions de l'avenir.
Ce problème de la causalité et de la finalité a toujours paru extrêmement ardu.  Lorsque nous observons le monde physique, notamment tout ce qui est mécanique ou qui peut se ramener aux lois de la mécanique, il est évident que la causalité s'impose de façon absolue.  Dès qu'on aborde les êtres vivants et surtout le règne animal, il semble qu'une sorte de finalité apparaisse.  

Elle se manifeste tout particulièrement dans l'instinct qui, presque toujours, fait agir l'animal en raison d'un événement futur que la bête est presque certainement dans l'impossibilité de prévoir.

Un sentiment profond rend l'homme incapable d'accepter la loi implacable de causalité pour tout ce qui concerne sa vie morale ou spirituelle.  

L'observation peut bien lui faire voir la causalité dominant la nature inanimée ; son intelligence peut lui en découvrir les lois, la science lui démontrer comment elles agissent. Il ne peut se résigner à la subir ; il demande quelle peut être la fin de toutes choses, quelle est sa raison de vivre, le but de sa destinée. Il recherche obstinément la finalité, même si la raison veut le persuader qu'il n'y en a point.

Ce problème de la causalité et de la finalité reste insoluble tant qu'on ne s'est pas convaincu que l'homme participe aux deux mondes physique et astral. Il se trouve au confluent d'un passé qui le détermine et d'un avenir qui le sollicite et le prédispose.  En lui jouent à la fois les lois de la causalité et les impulsions de la finalité.

Parce que l'homme possède à la fois un corps physique et un corps astral, dans chacun de ses actes causalité et finalité s'entremêlent. Prenons un exemple banal, un exemple terre à terre.

Observons un homme qui joue au billard.  Une boule roule sur le tapis vert.  Son trajet, ses ricochets obéissent aux lois de la mécanique.  Ils sont déterminés par une cause : l'impulsion que le joueur a donnée à la boule.  
Cette impulsion est antérieure au mouvement.  Tout ce qui se déroule sur le tapis vert, tout ce que le spectateur peut voir, est strictement conforme aux lois de la causalité.  Ces lois déterminent en fin de course un carambolage. Tout ce que nous avons vu s'est déroulé dans le monde physique.

Mais tout change si nous nous représentons maintenant ce qui s'est passé derrière le crâne du joueur.  Ici, c'est le carambolage qui était la raison, la fin de l'impulsion donnée à la boule.  Ce que nous avons vu en dernier lieu sur le tapis vert était la cause déterminante qui a déclenché toute l'action, tandis que dans la pensée du joueur le carambolage était d'abord ; c'est lui qui a été vu en premier ; tous les mouvements qui l'ont précédé, pour le spectateur, n'étaient pour le joueur que la conséquence, la suite de sa représentation.  

Au moment où il jouait, où il donnait à sa boule l'impulsion nécessaire pour qu'apparaisse le carambolage, c'était l'avenir qui préformait, dans le présent, tous ses mouvements en vue du but à atteindre.  Il agissait selon les impulsions de la finalité.  Tout ce qui s'est passé derrière le crâne du joueur s'est déroulé dans le monde astral.

Il est important de remarquer qu'une fois le carambolage prévu, posé devant le regard intérieur du joueur, il faudra pour réaliser le carambolage dans le monde physique, utiliser les lois de la causalité.  L'opération complète se décompose de la façon suivante  :

1. Le joueur voit le carambolage à faire.  C'est le plus lointain avenir qu'il ait à prévoir.

2. Le joueur se représente le trajet que doit accomplir sa boule pour parvenir au carambolage.

3. Il se représente les mouvements qu'il doit accomplir pour donner à la boule l'impulsion nécessaire afin qu'elle accomplisse le trajet prévu.  C'est l'avenir le plus proche.  La pensée du joueur suit donc la série des opérations qui se dérouleront sur le tapis vert, mais elle les suit dans un ordre inverse de leur succession dans le temps physique.  Il les suit en partant du plus lointain avenir, c’est-à-dire le carambolage, pour descendre vers le plus proche, vers les mouvements à accomplir pour donner à la boule l'impulsion voulue.

4. Le joueur donne l'impulsion à la boule et, désormais, tout se passera selon la loi de causalité et se déroulera dans le monde physique dans l'ordre inverse des représentations du joueur. D'abord le mouvement du bras, puis le trajet de la boule, enfin le carambolage.

Une seconde remarque est non moins importante. Jusqu'au moment où le joueur est passé de la représentation à l'acte, où il a mis la boule en mouvement, il pouvait choisir le trajet qu'il lui ferait parcourir.  Il est rare qu'un carambolage ne puisse se faire que d'une seule façon.  

Dans une certaine mesure le joueur était libre. À partir du moment où le mouvement est déclenché, où la causalité remplace la finalité, où l'opération sort de l'astral pour entrer dans le physique, rien ne peut plus être changé, tout est rigoureusement déterminé, parce que tout est soumis à la causalité.

Ainsi, les impulsions qui traversent l'astral proviennent de l'avenir.  Elles sont dirigées par la finalité.  Lorsqu'elles pénètrent dans le monde physique, elles préforment dans le présent un événement futur.  Elles y déposent une sorte de germe qui va se développer dès lors selon les lois de causalité.  Ce germe, d'abord difficile à discerner, déterminera l'événement qui existait en puissance dans le monde astral.  Un certain temps s'écoulera entre le moment où le germe est déposé et le moment où l'événement se réalisera ; ceci en raison de l'inertie du monde physique qui s'oppose à toute transformation brusque.  Il faut que l'événement mûrisse, que « les temps soient révolus ».

Tant que l'événement est seulement préfiguré dans le monde astral, les êtres dont les impulsions tendent à se réaliser dans le monde physique - qu'il s'agisse d'hommes ou d'êtres spirituels - conservent une grande liberté.  Leur réalisation peut prendre toutes sortes de formes.  

Mais, dès que le germe est déposé, que l'événement est ainsi préformé dans le monde physique, il devient fort difficile de modifier son développement.  L'impulsion, en pénétrant dans le domaine de la causalité, en prend le caractère de rigueur déterminante.  

Jusqu'alors souple, plastique, elle devient à partir de ce moment une cause fatale.  Ainsi la causalité et la finalité ne s'excluent pas, mais s'entremêlent et se complètent.

L'homme, par son corps astral, fait partie du monde de l'astralité. C'est la raison pour laquelle il peut se fixer à lui-même un but, une fin, et agir de telle sorte qu'il soit capable de l'atteindre.  Son action, dirigée par la finalité, est conforme aux lois du monde astral.  

C'est cette même faculté du monde astral qui permet d'expliquer tous les faits de prémonition ou de prophétie et notamment les rêves prophétiques.  
Il faut bien remarquer que la prévision d'un événement peut être obtenue par plusieurs voies différentes. L'observation peut nous permettre de découvrir le germe déjà déposé dans le monde physique.  Il faut pour cela de la pénétration d'esprit, du coup d'œil, de l'intelligence ou de la sagacité ; bref des qualités, brillantes peut-être, mais normales.

Dans des cas plus rares, l'observation peut avoir été faite sans que nous ayons découvert son importance.  Nous n'en avons tiré aucune conséquence.  Mais, au cours d'un rêve, nous en verrons les effets. 

C'est possible parce que le corps astral ne cesse pas toute activité pendant le sommeil.  Il arrive, de temps à autre, qu'un écolier qui n'est pas arrivé à faire son problème le soir, en trouve la solution en rêve et n'ait plus qu'à l'écrire le lendemain. Les deux faits sont analogues. Il n'est pas nécessaire de posséder des facultés supranormales dans un cas plus que dans l'autre.

Par contre, pour percevoir l'événement futur avant toute réalisation, lorsqu'il est encore en puissance et seulement préfiguré dans le monde astral, il faut de la clairvoyance.  Mais les impulsions seulement préfigurées dans le monde astral peuvent encore se réaliser, comme nous l'avons vu, de bien des façons différentes ; elles n'ont pas encore de caractère certain et fatal. C'est pourquoi les cas de prophéties indiscutables, exprimées avec précision et exactement réalisées, sont rares.

Toutes les impulsions qui traversent l'astralité et pénètrent dans le domaine physique suivent les mêmes lois, quelle que soit l'importance de l'événement finalement réalisé ou la nature de l'être qui a donné l'impulsion.  Le même processus se déroule, qu'il s'agisse d'un acte humain, de notre destinée, des fins ultimes de l'humanité, de l'évolution, de l'univers ou de la réalisation des desseins de Dieu. 

Les buts les plus lointains sont d'abord posés dans l'astral. Ils se préfigurent peu à peu en modifiant le monde astral d'abord dans un devenir un peu moins lointain, puis de plus en plus proche, jusqu'au moment où le germe en sera déposé dans le présent physique.

Le moment où se produira cette sorte de naissance est d'une importance capitale, puisqu'à partir de ce moment l'impulsion saisie par la loi de causalité ne peut plus guère être modifiée et qu'elle prend forme physique.  Il faut donc que ce moment d'incarnation ne se produise ni trop tard ni trop tôt.  Si c'est trop tard, le germe n'aura pas le temps de se développer normalement et risque de rester sans effet.  Si c'est trop tôt, le germe sera déposé à un moment où les conditions du monde physique ne sont pas encore favorables à son développement et il se produit une sorte d'avortement ou de monstruosité.  

Rudolf Steiner cite dans son œuvre des cas nombreux d'impulsions spirituelles qui ont succombé ou ont été dévoyées parce qu'apparues trop tôt dans un univers insuffisamment préparé.  La même précaution doit être prise lorsque nous envisageons de réaliser quelque dessein important.  Il faut savoir le laisser mûrir assez longtemps en nous-même et l'introduire au moment propice dans le milieu physique, par des actes et même par des paroles. Il est toujours dangereux de parler trop tôt d'un dessein encore irréalisable.


DESTINÉE ET KARMA

Notre destin individuel est soumis aux mêmes lois. Il est préfiguré dans l'astral avant notre naissance. C'est le karma de l'existence que nous allons vivre.  Le germe en sera déposé dans le monde physique au moment de notre naissance. Les vieux contes qui nous montrent des fées assemblées autour du berceau d'un enfant, et lui apportant chacune en don une qualité qui n'apparaîtra que plus tard, expriment sous une forme poétique cette première ébauche du destin.  Mais ce karma qui provient du monde astral est construit en vue d'un but, d'une fin qui dépasse les limites d'une seule existence.

On a souvent une conception trop étroite de la loi de karma.  On imagine volontiers que les événements d'une vie sont seulement la conséquence de vies antérieures.  En partant de ce seul point de vue, on est amené à ne considérer le karma que sous la forme d'une sorte de justice distributive, de morale en action, telle qu'on la trouve dans certain livres destinés aux petits enfants ... et que ceux-ci n'aiment pas lire, parce qu'ils ont encore un instinct juste de la vérité.  Cette conception conduirait d'ailleurs à supposer un déterminisme rigoureux dans les actions humaines, ce qui ne laisserait guère de place pour la liberté.

C'est en l'étudiant du point de vue de la finalité que la loi de karma peut devenir féconde.  L'humanité et chacun des individus qui la composent doivent atteindre au travers des vies successives les buts fixés à l'évolution de l'univers.  Si, au cours d'une existence, une faculté indispensable pour notre développement ultérieur n'a pas été suffisamment exercée, les événements de la vie vont nous obliger à renforcer ce point faible.  C'est donc essentiellement en vue de l'avenir qu'il faut purger le passé.  Plutôt que de chercher à connaître nos existences passées (ce qui n'a guère qu'un intérêt historique, puisque nous sommes impuissants à y rien changer), il vaut mieux employer nos forces et nos connaissances de la loi de karma à préparer le bagage nécessaire à nos existences futures. Nous éviterons ainsi que des événements souvent pénibles nous obligent à le faire. L'acquisition des facultés et des vertus indiquées par Rudolf Steiner comme préparatoires à l'initiation nous seront à ce point de vue d'un grand secours.  Nous pouvons, grâce à cette acquisition, développer harmonieusement et en pleine liberté toutes les forces dont nous aurons besoin dans cette existence et dans les prochaines.

Nous pouvons nous approcher de la connaissance de notre propre destin, de notre karma, en examinant et en retraçant devant nos yeux le déroulement des événements de notre vie. Ce ne sont pas ces événements eux-mêmes qui sont importants, ni le fait qu'au moment où ils se sont produits nous les ayons ressentis comme agréables ou désagréables, heureux ou douloureux. Une difficulté grave, un malheur peuvent avoir des conséquences bienfaisantes. Ce qui est important dans l'examen rétrospectif de notre vie, c'est le déroulement, l’enchaînement des circonstances.  Mais ces évènements ne sont pas liés seulement par des relations de cause à effet ; en tant qu'ils expriment notre karma, ils sont généralement déterminés par la finalité, et par conséquent ils peuvent trouver leur raison dans un autre événement qui ne s'est réalisé que longtemps après et non pas dans un événement antérieur.  Il est donc utile, pour que cette finalité nous apparaisse clairement, que l'examen de notre vie soit fait dans l'ordre inverse de son déroulement, c'est-à-dire en partant du présent, des faits les plus récents, pour remonter le cours de notre vie jusqu'aux souvenirs les plus anciens de notre première enfance.

Cet exercice d'examen rétrospectif poursuivi à rebours du temps peut sembler au début assez difficile à réaliser. On peut s'y entraîner en commençant par suivre de cette façon les faits qui se sont déroulés au cours d'une seule journée. 

Par exemple, un spectacle qu'on a vu commence par le dénouement, une conversation par les derniers mots échangés.  Les événements vus ainsi, à rebours de leur ordre chronologique, prennent un tout autre aspect. 

On s'aperçoit que, même dans le détail des faits les plus insignifiants d'une journée, un événement qui n'est pas encore réalisé peut être préparé par un autre, et que ce dernier ne prend toute son importance et sa signification que si nous établissons un rapprochement juste entre les deux événements.  Par exemple, sans raison apparente, nous sommes partis en avance ; les quelques instants de loisir dont nous disposions nous ont permis de faire une observation importante, ou de rencontrer inopinément une personne que, sans cette avance, nous n'aurions pas eu l'occasion de voir … De tels faits sont fréquents.  Il faut naturellement les enregistrer avec calme et sans y voir, à chaque instant, l'intervention de puissances supérieures.

Des exercices comme ceux qui viennent d'être indiqués sont utiles pour renforcer et contrôler l'activité de notre corps astral. En nous menant jusqu'à la porte du problème du destin, du karma, ils nous font dépasser le domaine purement astral pour atteindre celui du spirituel, du moi.  Le moi est l'élément qui passe d'une incarnation à l'autre et qui est par là même le porteur du destin.  Nous pouvons lire dans l'astral l'image du moi inscrite dans le destin.



[1] Voir R. Steiner : La Science de l’Occulte, chap. V, La Connaissance des Mondes supérieurs. Ed.Triades

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