vendredi 1 mai 2020

TROISIÈME PARTIE DE : UN CHEMIN VERS L'ESPRIT


II
LES FORCES ÉTHÉRIQUES

LE PLAN DE CONSTRUCTION
Sur le chemin qui mène vers l'esprit qui est dans l'univers, l'étude du mystère de la vie peut être prise comme première étape. Parmi tous les phénomènes que nos sens peuvent atteindre et observer, la vie est en effet celui qui manifeste de la façon la plus évidente l'existence de « quelque chose » qui n'est pas seulement matériel, qui suit d'autres lois que celles de la physique et de la chimie. Il n'y a plus, à l'heure actuelle, de physiologistes qui s'attendent, comme certains savants du XIXe siècle, à voir un jour « apparaître la vie au fond de la cornue d'un chimiste ».

Lorsqu'on observe le développement d'un être vivant, on est amené à pressentir l'existence, selon un mot célèbre de Claude Bernard, d'un « plan de construction » qui permet seul d'expliquer comment les éléments que l'être en croissance emprunte au milieu extérieur viennent s'insérer à des points précis, et acquièrent une structure permettant l'édification du corps avec tous ses organes nettement différenciés.

Malgré la complexité des fonctions nécessaires à la vie, ces organes s'unissent dans une interdépendance étroite qui assure l'unité de l'être vivant. Il se crée ainsi une individualité séparée du milieu physique où elle se développe. L'être vivant s'oppose à son milieu en obéissant à ses lois propres, mais il est capable néanmoins de s'adapter dans une certaine mesure aux conditions extérieures et de se modifier si ces conditions changent.

Ce plan de construction se maintient tant que dure la vie. Il est capable, dans une limite plus ou moins large, selon les espèces, de réédifier une partie du corps si celui-ci vient à être mutilé par accident au cours de la vie comme chez les vers de terre par exemple ou encore les crabes.


LA MÉTAMORPHOSE DES FORMES

Cependant les formes des êtres vivants s'opposent à celles des minéraux en ce que, tant que dure la vie, elles sont continuellement en voie de modification, de transformation, et, dans certains cas, de véritable métamorphose. 

Il suffit de songer aux cas les plus typiques, la métamorphose de la chenille en chrysalide puis en papillon, celle du têtard en grenouille. Dans le règne végétal, la fleur et le fruit ne sont en dernière analyse que la métamorphose d'un bouquet de feuilles. Chez les animaux supérieurs et chez l'homme, ces sortes de métamorphoses complètes n'existent qu'au cours de la vie embryonnaire. 

Les formes extérieures se modifient cependant de façon sensible de l'enfance à l'âge adulte, puis à la vieillesse. Elles s'accompagnent de modifications plus profondes de la vie physiologique qui se manifestent par la rapidité des réactions au milieu extérieur. La cicatrisation entre autres est plus rapide chez l'enfant que chez le vieillard. Mais, d'autre part, l'action destructrice qui menace sans cesse l'être vivant, et se manifeste sous forme de maladies, suscite une résistance qui augmente de la première enfance à l'âge adulte et qui diminue ensuite avec la vieillesse. L'enfant, surtout pendant ses premières années, est beaucoup plus fragile que l'adulte.

Les forces d'édification qui réalisent et maintiennent le plan de construction de l'organisme, ne se présentent donc pas à l'observation comme affluant d'un seul coup à la naissance et s'affaiblissant peu à peu au cours de la vie. 

Elles augmentent au contraire pendant la première partie de la vie, puis après être restées stables, au cours de l'âge adulte, elles diminuent ensuite jusqu'à la mort.

Le plan de construction ainsi que les forces qui le réalisent et le maintiennent ne sont donc pas donnés une fois pour toutes « ne varietur ». Il se développe dans le temps, au cours de la vie de chaque être, en suivant une courbe parallèle chez tous les êtres de la même espèce. Tant que dure la vie, ces forces d’édification maintiennent l'unité de l'individu. La mort fait disparaître cette unité. Le corps « retourne à la poussière ».


L'ÉTUDE DU VIVANT

Ce sont là des faits que tout le monde peut observer. Les interprétations qu'on en donne sont, par contre, fort différentes. Beaucoup de physiologistes se contentent de les constater et se refusent à en chercher l'explication. Ils reconnaissent que les méthodes qu'ils emploient dans leurs recherches ne peuvent la leur donner. Quelques-uns vont jusqu'à déclarer que le problème du vivant dépasse les « limites de la science » et appartient à la métaphysique.

Les méthodes de la science spirituelle lui permettent par contre de l'aborder. Son étude constitue même une des étapes essentielles du développement que l'anthroposophie propose ; elle constitue un premier degré permettant de passer de la connaissance du monde sensible à celle des mondes suprasensibles. C'est le premier pas à faire pour aller du physique au spirituel.

Comment atteindre ce plan de construction des organismes vivants  ?  Où saisir le mystère de la nature vivante ?  Par quel moyen pourrait-on forcer à apparaître ces forces d'édification qui échappent entièrement à nos sens et aux instruments qui les renforcent ou les suppléent ? ...

Tout d'abord en observant les métamorphoses des êtres vivants. 

Nous avons remarqué que tous les êtres vivants se transforment ou se modifient plus ou moins rapidement au cours de leur croissance. Ces modifications sont dues à l'activité de forces agissant selon les lignes directrices du plan de construction. En les observant nous pouvons donc apercevoir, au travers des formes visibles, l'action du plan de construction qui échappe aux sens. En suivant le développement d'une plante depuis la graine jusqu'à son plein épanouissement et à la formation du fruit, nous acquérons une connaissance nouvelle de la plante : nous apprenons à voir son «  geste de croissance ».

Faisons cette observation et nous constaterons bientôt que chaque espèce de plante possède un « geste de croissance » qui lui est propre. Le glaïeul, par exemple, surgit réellement comme un faisceau de glaives qui se dressent hors du sol. Le liseron, tout au contraire, s'étire en spirale, tournant sur lui-même, jusqu'à ce qu'il trouve un point d'appui où s'agripper; ce point atteint, il se soulève, puis il reprend son tâtonnement serpentin jusqu'à ce qu'il accroche une autre prise plus haut.

Chaque fleur a également son geste d'épanouissement. Le bouton de nénuphar vient poser au ras de l'eau sa capsule de bure. Puis il rabat les sépales bruns, rigides et comme vernis du calice; les pétales blancs ou roses se dressent et s'écartent un peu pour découvrir au fond du cœur la couronne d'or des étamines. Quand la fleur se flétrit, tout se referme en un geste pudique inverse de l'épanouissement. Les sépales se redressent, se rapprochent, pendant que les pétales s'affaissent sur le cœur. La fleur se cache pour mourir.

Les pétales de la rose écartent et repoussent le corset de sépales verts qui les tenait enlacés; ils s'étalent, puis, relâchés et comme épuisés, ils se laissent tomber avant toute flétrissure, découvrant le calice qui reste là tout nu, sa cupule rubiconde dressée vers le soleil. Les pétales de l'iris sont soigneusement enroulés sur eux-mêmes dans le bouton. Ils se déroulent, s'arquent et se renversent en arrière pour échafauder l'architecture compliquée de leur plein épanouissement. Puis en flétrissant ils s'enroulent de nouveau sur le calice, l'enserrent et se nouent sur lui si étroitement qu'il faut faire effort pour les délier.

Des films cinématographiques « à l’accéléré » ont saisi ces transformations, ces gestes de croissance et d'épanouissement des plantes. De tels films sont utiles pour nous montrer l'intérêt que peuvent présenter de telles observations. Ils ont cependant un grave inconvénient. Ils sont pris dans le but unique de rendre ce geste plus caractéristique, plus frappant, et pour cela ils en modifient la vitesse et même le rythme. Or, la vitesse et le rythme sont des éléments essentiels de ce geste qui manifeste le déroulement du plan de construction des êtres vivants. 

Ce plan se développe dans le temps à une vitesse et avec un rythme qui sont propres à chaque espèce. Si dans l'image qu'on en donne on modifie cette vitesse et ce rythme, on altère le caractère du geste. Il en est ainsi dans tous les domaines. Par exemple si on filme une scène de violence (un individu en gifle un autre) et qu'on la tourne « au ralenti », la gifle prendra l'allure d'une caresse sur la joue et la mimique du giflé paraîtra grotesque.  La croissance d'une plante tournée « en accéléré » produira des déformations analogues, des sortes de caricatures. Une étude sur la croissance des plantes requiert une étude patiente autrement plus subtile que n'en fournit le cinéma accéléré.

Ces observations sur la croissance des plantes, et notamment sur leur vitesse, sont de celles qui sont familières à tout bon jardinier. 

Il remarque immédiatement une anomalie dans le développement de ses sujets.  Il l'exprime en déclarant que telle plante est « en retard », ou au contraire qu’elle pousse trop vite, tout en tige et en feuillage, qu'il faudra la « rabattre », si l'opération est possible, pour en obtenir les fleurs ou les fruits qu'on en attend.

Les botanistes au contraire ne s'arrêtent pas à ce genre d'observations. Ils étudient sans doute la structure de la graine, puis celle de la tige et des feuilles; ils s'arrêtent tout particulièrement à la fleur et au fruit. Mais ils examinent chacun de ces états à part et n'étudient pas le passage de l'un à l'autre; ils ne voient pas l'intérêt qu'il y a à suivre le mouvement de transformation qui, d'un état de forme, conduit à l'autre. 

Certes, il serait des plus injuste de critiquer le travail des botanistes. Il est au contraire admirable de précision et de probité. Il a permis d'acquérir des connaissances d'une valeur inestimable sur le règne végétal.  Mais leur méthode ne permet pas, et ils le reconnaissent eux-mêmes, d'atteindre ce qui constitue la vie.

On saisit, sur ce point, comment la méthode de la science spirituelle peut compléter celle des botanistes. Au lieu de s'arrêter à l'observation de certains états de forme choisis comme particulièrement caractéristiques : la graine, la fleur, le fruit, la cellule, c'est le mouvement de transformation de la plante entière qui attire l'attention: C'est lui qui renseigne sur le plan de construction du végétal. La vie ne peut jamais s'arrêter ni se fixer. Si les formes s'immobilisent, c'est la mort. Les arrêter, ne serait-ce qu'un moment, c'est les tuer. L'étude de la vie est nécessairement l'étude d'un mouvement.


CONCORDANCES ENTRE
MANIFESTATIONS DU VIVANT

Beaucoup d'autres observations permettent d'approcher du plan de construction des végétaux. En voici une, par exemple, qui complète et précise celle que nous venons d'indiquer.

Les feuilles d'une plante ne s'insèrent pas à n'importe quel point de la tige. Lorsque, partant du point d'insertion d'une feuille, on réunit par une ligne ce point à celui où s'insère la feuille immédiatement supérieure, puis la suivante, et ainsi de suite, on s'aperçoit que la ligne ainsi tracée constitue une spirale ou plus exactement une hélice. Nous pouvons observer en second lieu que, suivant chaque espèce, l'hélice ainsi décrite fait une ou plusieurs fois le tour de la tige avant de rencontrer une insertion de feuilles qui se trouve exactement au-dessus de la première. C'est une observation que les botanistes ont aussi faite et qui leur sert parfois comme caractère secondaire pour déterminer les familles de plantes. Elle nous apprend que le plan de construction des végétaux se développe dans l'espace en une hélice plus ou moins compliquée.

Un esprit dépourvu des préjugés du spécialiste rapprochera cette observation d'une autre. Le mouvement apparent des planètes, autrement dit les lignes qu'elles paraissent tracer dans le ciel lorsque nous les observons de la terre, forment une figure assez proche de l'hélice, la lemniscate, ou boucle de lacet. Or, chaque planète, avant de repasser exactement au même point, forme toujours une ou plusieurs boucles, comme l'hélice des points d'insertion de feuilles tourne une ou plusieurs fois autour de la tige.

Une telle observation nous rappelle maintenant une antique tradition, bien antérieure à la botanique moderne, qui classait les plantes d'après les affinités qu'on prétendait relever entre telle ou telle espèce végétale et telle ou telle planète. On distinguait ainsi des plantes saturniennes comme la plupart des conifères, des plantes lunaires comme les diverses espèces de cucurbitacées, des plantes vénusiennes comme le bouleau, etc. 

Des observations comme celles que nous venons d'indiquer, et d'autres qui les confirment, montrent que de telles assimilations n'étaient pas entièrement arbitraires, qu'il existe bien un rapport entre le mouvement des astres et la croissance des végétaux.  L'un et l'autre obéissant à des lois, non pas identiques sans doute, mais apparentées, et qui se révèlent à l'esprit dès que celui-ci s'affranchit des compartimentages qui découpent la réalité.


UNE VUE DE L'ESPRIT:
LE SENSIBLE-SUPRASENSIBLE

Chacun peut pressentir que des recherches sur le phénomène de la vie, conduites par une méthode aussi universelle, sont riches de possibilités. Elles ont permis, dès maintenant, d'obtenir maints résultats pratiques. Mais surtout, elles nous aident à passer des constatations purement sensibles à la perception de réalités suprasensibles. 

Selon un mot de Gœthe, qui a donné la première ébauche de cette méthode, elles constituent des expériences «  sensibles-suprasensibles » ; c'est-à-dire où le suprasensible est mêlé au sensible, où on commence à atteindre, au travers des sensations et par leur truchement, des réalités qui échappent, par leur essence même, à nos sens, car l'observation sensible n'est que la moitié de l'expérience. La pensée qui élabore cette observation, qui la traduit sous forme de concepts, qui la rapproche d'autres observations ou l'oppose à elles, qui la soupèse, la fait entrer ou l'écarte d'un groupe d'autres concepts, cette activité de la pensée constitue l'autre partie de l'expérience. On ne saurait donc se contenter d'observer, à moins de se résigner à enregistrer purement et simplement, sans même les classer, une série de faits curieux ou intéressants. Il faut savoir penser l'observation ; et c'est encore une chose qu'on doit apprendre.

Pour savoir penser les perceptions suprasensibles, il faut déployer une activité différente de celle qu'on emploie pour penser les faits du monde physique. Non pas, certes, abandonner les qualités acquises par la pensée au contact des réalités sensibles. Il faut conserver soigneusement sa mémoire, son bon sens et son jugement, et même les renforcer. Mais il faut en outre les compléter par une activité différente.

On doit bien remarquer en outre qu'accumuler les observations intéressantes est affaire de spécialistes. Cela peut permettre d'acquérir des connaissances précieuses soit dans le domaine de la science, soit dans celui de la technique, de la pratique. Nous aurons l'occasion plus loin d'en indiquer quelques-uns. Mais tous ceux qui veulent aborder le développement spirituel doivent acquérir l'activité intérieure nécessaire pour penser correctement les faits par lesquels se manifeste la vie. C'est là une nécessité qui paraît souvent rebutante, parfois pénible, presque humiliante.  Par suite d'une tendance spontanée de la nature humaine, caractérisée dans une maxime célèbre, « on se plaint volontiers de sa mémoire, jamais de son jugement ».  Il semble désagréable d'admettre qu'on ne sache pas penser et qu'il faille l'apprendre. En face des réalités suprasensibles, on en reconnaît pourtant bientôt la nécessité.

Pour y parvenir, Rudolf Steiner nous a donné des exemples d'exercices à pratiquer :
« Que l'on pose devant soi une petite graine de plante. Il s'agit, en face de cet objet minime, de faire naître intensément en soi les pensées qui s'y rapportent, et par ces pensées d'éveiller certains sentiments. Tout d'abord, rendez-vous compte très clairement de ce que vos yeux perçoivent en réalité. Faites-vous une bonne description de la forme, de la couleur et de tous les autres caractères de la graine. Puis réfléchissez à ceci : si l'on mettait cette graine en terre, il en naîtrait une plante très complexe.
Représentez-vous bien cette plante. Évoquez-la en imagination. Et dites-vous alors : ce que j'évoque actuellement en imagination, les forces de la terre et de la lumière vont en réalité le faire surgir un jour du sein de cette graine. Si j'avais devant moi une imitation artificielle de la graine, la reproduisant à s'y méprendre au point que mes yeux ne pourraient la distinguer de la vraie, il n'existerait en fait aucune force dans la terre ni dans la lumière pour en faire jaillir une plante. Que l'on réalise très clairement cette pensée, qu'on la vive en soi, et l'on va être capable de concevoir ce qui suit en y joignant le sentiment approprié. On va se dire : dans cette graine repose déjà, bien que d'une manière cachée, toute la plante en puissance, tout l'organisme qui en sortira plus tard. Cette force ne réside pas dans la graine imitée. Cependant, à mes yeux, toutes deux sont identiques. Dans la graine réelle existe donc quelque chose d'invisible qui ne se trouve pas dans l'objet fabriqué. C'est sur cet invisible qu'il faut diriger maintenant pensées et sentiments.

Représentez-vous bien ceci : c'est cet invisible qui, plus tard, se transformera en la plante visible que je pourrai contempler dans sa forme et dans sa couleur. Et attachez-vous à cette pensée : l'invisible deviendra visible. Si je n'étais pas capable de penser, ce qui ne sera visible que plus tard ne pourrait pas dès maintenant se faire connaître à moi. Il faut bien préciser un point : ce que l'on pense doit être intensément ressenti. Dans le calme, sans se laisser distraire par aucune pensée, on vit en soi ce qui vient d'être décrit; et on se donne tout le temps nécessaire pour y rattacher les pensées et le sentiment, afin qu'ils creusent dans l'âme une empreinte profonde. Si l'on réussit comme il convient, on parviendra après un certain temps, peut-être seulement après des essais très nombreux, à prendre conscience d'une force. Et cette force ouvrira une nouvelle vision des choses[1] ».

Les forces invisibles qui dorment dans la graine et qui édifieront l'organisme de la plante aussitôt qu'elles rencontreront les circonstances favorables, ont été dénommées par Rudolf Steiner : forces vitales ou forces formatrices ; ou plus communément : forces éthériques[2].  Quant au plan de construction d'après lequel ces forces travaillent à édifier l'organisme de telle plante particulière on l'appelle « corps éthérique » de cette plante. Tout être vivant, plante, animal ou homme possède un corps éthérique ; ses fonctions vitales ou végétales sont assurées par des forces éthériques.  Pour éviter toute confusion, précisons qu'il n'y a aucun rapport entre ces forces éthériques et l'éther des physiciens. 


PERCEVOIR ET PENSER
L'ÉTHÉRIQUE

Pour parvenir à la connaissance de ce corps et de ces forces, nous venons de voir qu'on peut suivre le chemin suivant :

D'une part observer le mouvement de croissance et décroissance des êtres vivants. Il y a lieu de s'attacher plus particulièrement aux plantes, parce que les forces éthériques s'y expriment à l'état pur. Chez les animaux et chez l'homme, d'autres éléments viennent s'y mêler qui compliquent l'observation. Nous aurons l'occasion de le voir plus loin.

Mais, en même temps, il est nécessaire d'apprendre à penser ces forces éthériques, et pour cela de pratiquer des exercices de méditation comme celui que nous indique Rudolf Steiner. 

Ces exercices ont pour effet de développer d'abord une habitude ou une forme de pensée que Rudolf Steiner désigne sous le nom de pensée vivante, puis de créer des organes de perception, un nouveau pouvoir de vision qui peut permettre de percevoir directement les forces éthériques. La voie indiquée comporte donc trois étapes : l'observation, le développement de la pensée, la création d'organes de perception. 

L'observation et le développement de la pensée doivent être, nous l'avons vu, conduits simultanément.  De ce double travail peuvent naître les organes de perception.  Le développement de la pensée est donc le point central, le nœud même de ce travail spirituel ; il y a lieu de s'y arrêter tout particulièrement.

La méditation sur la graine proposée par Rudolf Steiner est très simple. Elle peut même paraître trop simple à certains esprits. On n'y trouve pas de révélations frappantes ou extraordinaires, ni de pensées mystérieuses et qui semblent d'une profondeur insondable

Cette suite de réflexions aurait pu même venir à l'esprit de beaucoup de personnes en regardant une graine. Comment donc ces notions pourraient-elles avoir un tel effet qu'elles soient capables de forger un mode nouveau de pensée et même de créer des organes de perception suprasensible ?

Il faut bien voir que dans une méditation de ce genre, ce qui importe, ce n'est pas son contenu intellectuel, ce qu'on chercherait par exemple dans un livre d'enseignement, mais l'exercice lui-même, le développement de l'activité pensante. Et l'exercice doit être maintes et maintes fois recommencé.

Quand on reçoit un enseignement et qu'il a été bien compris, tant que nous en conservons le souvenir exact, il est inutile d'y revenir. Lorsque nous avons saisi comment se démontre un théorème de géométrie, que nous pouvons reproduire le raisonnement qui le fonde, il serait absurde de le reprendre sans cesse. Lorsqu'un exercice a été bien exécuté, on ne le recommence pas. Si on a trouvé la solution d'un problème d'algèbre, on ne le refait pas cinquante fois.

Il n'en est pas de même de la méditation sur la graine; elle a un tout autre but, elle ne tend pas à nous faire acquérir un savoir intellectuel ou à exercer notre logique. Il s'agit d'habituer notre pensée à suivre le cheminement des forces qui s'expriment dans le monde sensible par la vie, d'accorder notre pensée à ces forces.

Pour bien comprendre l'effort nécessaire, voyons en détail plusieurs des points essentiels de la méditation. Souvenons-nous d'abord qu'il faut se représenter le développement de la plante qui sortira de la graine. C'est donc un mouvement qu'il faut d'abord se représenter. Or, il est extrêmement difficile de se représenter un mouvement, plus encore de le penser, donc, d'établir ses rapports avec d'autres mouvements, puisque penser consiste à établir des rapports entre des concepts.

Pour voir la difficulté, il suffit d'essayer de se représenter plusieurs mobiles en action simultanée, même animés d'un mouvement mécanique, donc constant ; par exemple plusieurs automobiles parties de points différents, ayant chacune sa vitesse propre et se dirigeant par plusieurs itinéraires vers un même lieu. Se rencontreront-elles, quand et où ? Oh ! Cela se calcule facilement. Mais comment ? En établissant les points où elles seront au bout d'une heure, puis de deux, puis de trois. Donc en arrêtant dans la pensée le mouvement à des fractions de temps régulières. Autrement dit en procédant comme les botanistes qui étudient successivement la graine, puis la fleur, puis le fruit. Mais nous avons vu que ce n'est pas la méthode possible pour atteindre la vie, qu'il faut penser le mouvement parce que toute vie est mouvement.

La difficulté est d'autant plus grande que le mouvement de la vie n'est pas un mouvement constant. Il se développe par rythmes comprenant une accélération, un ralentissement, un temps d'arrêt, puis de nouveau accélération, etc.  C'est le rythme de la circulation du sang, aussi bien que celui de la montée de la sève dans une tige ou de la croissance d'une plante. Il n'y a de mouvements constants, uniformément accélérés ou uniformément ralentis, qu'en mécanique et dans le monde physique. 

La vie par contre se développe toujours selon un rythme qui comprend un temps d'arrêt, une accélération et un ralentissement. Chaque fois qu'on rencontre ce rythme, on se trouve en présence d'un phénomène de vie, car la vie seule est capable, après un arrêt, de reprendre le mouvement et de l'accélérer, puis de l'arrêter de nouveau. Ce n'est d'ailleurs pas seulement dans le domaine des forces éthériques qu'on le rencontre. 

On peut dire, en règle générale, que toute expression des mondes suprasensibles dans le monde physique se manifeste par ce rythme. Ceci aide à comprendre des formules célèbres; par exemple, que tout ce qui existe est vie en Dieu, ou selon la formule du prophète Elie, que « l'Eternel ton Dieu est vivant ». Ou encore que  l'univers est constitué par l'aspir et le respir de Brahman. 

Ce rythme a été considéré comme divin parce que l'Esprit se manifeste dans la matière par cette pulsation, cet aspir et respir que l’on rencontre dans toute fonction vitale.

Il est donc d'une importance capitale d'acquérir l'entraînement nécessaire pour se représenter puis penser ce rythme de la vie. Notre esprit a besoin pour cela d'exercices réguliers. Il faut que le cheminement de notre pensée s'accorde au mouvement et à cette qualité de mouvement. En opposition au monde éthérique, sans cesse en mouvement, et en mouvement rythmique, le monde physique se caractérise par l'inertie. 

En présence d'un corps physique, notre pensée peut cheminer tout à son aise : il est là et ne change pas. Pour étudier le granit, il n'est pas nécessaire de chercher comment il s'est constitué, de suivre par la pensée son mode de formation. Nous pouvons l'examiner au microscope, en faire l'analyse chimique, rechercher comment il réagit à la chaleur, établir sa résistance à l'écrasement, etc. Essayez donc d'agir de même avec la vie ! Elle vous glisse entre les doigts. Vous croyez la saisir, elle n'est plus là. L'arrêter, c'est faire mourir l'être vivant. Il faut une plus grande activité de l'esprit pour atteindre la vie que pour atteindre la matière inerte. Cette activité nécessaire ne peut s'acquérir que par l'exercice.


LE SENTIMENT ESTHÉTIQUE
DANS L'OBSERVATION DU VIVANT

Il y a dans les indications de Rudolf Steiner un second point important à relever. « La pensée doit être accompagnée du  «  sentiment approprié », nous dit-il. Qu'est-ce que ce sentiment ? Le terme de sentiment a pris plusieurs sens souvent imprécis. Il désigne tout d'abord un état d'affectivité lorsqu'on veut exprimer les sentiments qu'on a pour telle personne. Il indique également un état d'émotivité; l'enthousiasme, la tristesse sont des sentiments. Il ne s'agit évidemment pas dans l'exercice proposé de se battre les flancs à chaque pensée pour s'écrier : « Dieu que la nature est belle! », ou : « Qu'il est merveilleux de songer que d'une si petite graine puisse sortir une si grande plante » !  On approchera du « sentiment approprié » en pensant à certaines expressions comme : « avoir le sentiment des proportions .. . le sentiment du vrai ... le sentiment moral ».  

Dans tous les cas il s'agit d'une sorte de perception, beaucoup plus que d'un état d'émotivité. Dans toutes les expressions citées on peut, sans en modifier la signification, remplacer le mot « sentiment » par le mot « sens » et dire : « le sens des proportions, le sens du vrai, le sens moral » . Dans tous ces cas l'activité ainsi désignée s'apparente à la perception, au jugement et surtout à ce qu'on appelle intuition au sens ordinaire et commun du mot.

On retrouve cette même activité intérieure dans le « sentiment » ou le « sens » de l'harmonie, des rapports de couleurs, de formes ou de sons. Un grand artiste, un littérateur a ce sentiment, ce sens de l'unité de la composition de son œuvre. Il perçoit que tel détail, intéressant ou pittoresque en soi, détruirait l'équilibre de l'œuvre entière, en briserait l'unité, que tel élément est au contraire indispensable à son balancement.  Il dira : « ceci est impossible » ou « cela est nécessaire ».  Pourquoi impossible ? Et pourquoi nécessaire, puisque l'artiste est pourtant libre ? Quelle est la logique qui s'impose à lui ?

Une loi interne; une loi organique propre à l'œuvre elle-même, telle qu'elle est conçue. L'artiste était libre au moment où il commençait à concevoir son œuvre. Mais dès qu'il en a tracé certaines lignes essentielles, il est déterminé par ce germe qui lui interdit certains développements et lui en impose d'autres.

Dans les êtres vivants comme dans les œuvres d'art, il y a des lois cachées qui en protègent « l'unité organique », imposent des nécessités; créent des impossibilités.  Elles sont fort proches les unes des autres, les lois qui président à l'élaboration des œuvres d'art et celles qui construisent les organismes vivants. La beauté des formes d'un animal ou d'une plante tient essentiellement à ce qu'elles expriment ces lois cachées de la nature. La découverte de certains rapports, de certaines harmonies, peut créer de la joie, de l'enthousiasme, un respect quasi religieux.  Nous retrouvons maintenant l'état d'émotivité, le sentiment, au sens le plus courant du mot.  

Mais ce n'est plus la vague sentimentalité à laquelle on s'efforcerait artificiellement, en essayant de « mettre du sentiment  »  dans la suite de pensées qui sert de charpente à la méditation. Tel est bien, sous ses différents aspects, le « sentiment approprié » que réclame Rudolf Steiner.

L'activité intérieure qui pressent ou perçoit les lois régissant la vie dans la nature, lois surnaturelles, quasi divines, doit être stimulée, exercée, développée. Elle constitue une sorte de sens caché nettement apparenté au sens ou au sentiment esthétique. Il en est bien ainsi puisque les lois d'harmonie et de composition qui régissent le plan de construction des êtres vivants, leur corps éthérique, s'épanouissent, dans le monde physique, en formes que notre sens caché reconnaît comme belles. 

La beauté des choses est un reflet de la splendeur divine. Le sens de l'harmonie et de l'unité organique est donc en rapport étroit, d'une part avec le sens esthétique, d'autre part avec ces organes de perception des réalités suprasensibles dont le développement est le but suprême indiqué par Rudolf Steiner. Ces différents sens ou sentiments ne se confondent pas, mais ils s'accordent. Stimuler l'un d'eux, c'est faire vibrer les autres, comme le son d'une note fait vibrer ses harmoniques.



[1] Rudolf Steiner : L’Initiation, chapitre : « Contrôle des pensées et du sentiment.»
[2] Pour éviter toute confusion, précisons qu’il n’y a aucun rapport entre ces forces éthériques et l’éther des physiciens.

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